ALBUMS :
En 1971, à Toulouse, Charles et Gilles GOUBIN deux frères passionnés de musique, décident de créer un groupe. Au départ, le répertoire est constitué de reprises des standards rocks de l’époque : STONES, DEEP PURPLE, etc.
En 1973, ils découvrent le jazz rock avec notamment MAHAVISHNU ORCHESTRA, WEATHER REPORT et Miles DAVIS. La rencontre avec cette musique nouvelle crée le creuset des œuvres futures du groupe. Le nom POTEMKINE est alors choisi pour la force et la puissance qu’il évoque ainsi que pour la phonétique du nom, avec ses consonances kobaïennes (à cette époque les membres du groupe assistent à de nombreux concerts de MAGMA). Dès Janvier 1974, le groupe, rejoint par un autre frère (Michel GOUBIN) et par Maurice BATAILLE et Xavier VIDAL, enregistre un 45 tours qu’il autoproduira MYSTÈRE/RICTUS. En Octobre 1975, avec Dominique DUBUISSON à la basse qui a rejoint le groupe et Philippe GOUBIN (quatrième frère) à la batterie, POTEMKINE sort son premier album FOETUS, également autoproduit et qui sera distribué par le label PÔLE. Dans la foulée de l’album le groupe commence à tourner d’abord dans le circuit des MJC puis, grâce l’association TARTEMPION, dans des salles plus importantes au fur et à mesure que grandit leur notoriété.
Pour son second album, POTEMKINE, alors réduit à un trio, décide de pousser plus loin la recherche musicale et de fusionner le jazz rock avec la musique contemporaine du début du siècle (VARESE, SATIE, DEBUSSY…) qui est alors devenue une de leurs influences majeures. L’album TRITON naîtra en 1977 de ces recherches sonores. Le titre de l’album vient de l’accord musical du même nom qui fut considéré au Moyen Âge comme étant l’expression musicale du Diable (l’Inquisition fit brûler des musiciens pour avoir joué cet accord) et qui ne fut réintroduit dans la musique occidentale qu’au début du siècle par, notamment, STRAVINSKY et BARTOK.
Après l’enregistrement de TRITON, avec ART ZOYD et MOSAIK dans le Nord et ÉTRON FOU LELOUBLAN en Ardèche, un réseau se crée, chaque groupe organisant des concerts dans sa région pour les autres formations. C’est ainsi que le rythme des concerts s’accélère, POTEMKINE donnant jusqu’à une centaine de concerts par an et assurant à plusieurs reprises les premières parties de MAGMA. Sur scène le groupe fusionne la musique de TRITON avec des passages improvisés plus énergiques dotés d’une structure plus rock. Le public se montrant plus réceptif à ces passages, POTEMKINE décide de creuser cette voie.
Cette orientation nouvelle sera consacrée par l’enregistrement de l’album NICOLAS II en janvier 1978 sur lequel POTEMKINE développe un jazz rock européen de grande classe, vibrant d’énergie et enregistré dans un esprit de disque live. Le groupe est alors composé des trois frères Charles, Michel et Philippe et de Doudou Dubuisson. Cette même année, en août, le groupe assure la première partie de SHAKTI, concert dont le point d’orgue fut les vives félicitations de John Mc Laughlin à la fin de leur prestation. Le groupe continue à tourner avec un succès grandissant jusqu’en 1979, année durant laquelle Charles GOUBIN décédera à la suite d’un accident de la route, le 11 juin.
Le groupe continuera néanmoins les concerts et donnera en août, une prestation mémorable devant 8 000 personnes à BILBAO avec Pierre BENICHOU à la guitare et Gilles GOUBIN au violoncelle. Par la suite, les facilités pour tourner se réduisant, le groupe fera alors une pause. En 1980, Philippe et Michel GOUBIN décident de devenir musiciens professionnels tout en constituant à eux deux le noyau central d’un POTEMKINE devenu quatuor avec Rémy SARRAZIN à la basse et Jean-Marc BELKADI à la guitare. Cette formation durera un peu plus d’une année et cessera d’exister en 1982 sans avoir enregistré de disque. Les deux CD, TRITON et NICOLAS II contiennent, outre les enregistrements originaux, les morceaux de l’album FOETUS et le 45 tours MYSTÈRE/RICTUS, constituant ainsi la totalité du legs discographique de POTEMKINE
Ce groupe de Toulouse, créé en 1971, sortit son 1er disque en 1974 (un 45 tours), en quintet (piano, batterie, basse, violon, guitare et voix), il évoque ZAO ou TRANSIT EXPRESS. Ensuite, toujours sous cette formule, il sort son 1er LP FOETUS offrant une musique complexe, puissante, climatique et feutrée avec une touche ZAO/MAGMA et une voix utilisée en tant qu’instrument. En trio (batterie, basse, piano/guitare) sur le second 33 tours, TRITON, il présente un jazz rock plus glacial et austère évoluant entre ART ZOYD, HATFIELD & THE NORTH, ZAO et la musique contemporaine, avec une violence contenue. Le troisième disque, NICOLAS II, évoque le courant Zeuhl dans son aspect le plus chaleureux et trépidant (WEIDORJE, Jean-Paul PRAT) et un jazz rock européen virtuose, original et recherché à la BRAND X avec ces attaques frénétiques de la guitare, ces envols de synthés et ses thèmes complexes. Après NICOLAS II et la mort du guitariste, le groupe repart en s’adjoignant un second bassiste, Rémy SARRAZIN, et un nouveau guitariste. Cette formule de POTEMKINE se sépara sans avoir enregistré de disque.
MUSEA, La Discographie du Rock Français.
Après avoir réhabilité l’obscur Dün, le label parisien Soleil (plus précisément sa division Soleil Zeuhl, dont il n’y a pas lieu d’expliciter davantage la vocation…) s’attaque aujourd’hui à l’œuvre intégrale d’un groupe plus médiatisé en son temps, Potemkine. La formation toulousaine, menée par les frères Goubin, se vit en effet donner l’opportunité de graver pas moins de trois albums, entre 1975 et 1978 : Foetus, Triton et Nicolas II, restés tous trois inédits au format numérique… jusqu’à aujourd’hui. Précision préliminaire : les deux CD qui font l’objet de la présente chronique sont certes les rééditions des deuxième et troisième albums de Potemkine, mais l’adjonction de nombreux titres bonus permet de couvrir la totalité du legs discographique du groupe. Ce choix, plutôt que l’édition de trois CD, se justifie par la perte des masters de Foetus et le repiquage des titres en question (comme ceux d’un premier 45 tours sorti en 1974) à partir d’un disque vinyle non exempt de craquements. Fort heureusement, Triton et Nicolas II bénéficient, eux, d’un excellent transfert numérique. Fin de la parenthèse technique.
Les trois albums de Potemkine retracent une évolution stylistique continuelle, émaillée de changements significatifs dans la constitution du groupe; un parcours brutalement interrompu en juin 1979 par la mort accidentelle de Charles Goubin, guitariste et principal compositeur de la formation, seul musicien en outre présent sur la totalité de ces deux CD. C’est en effet lui qui fut à l’origine, avec son frère bassiste Gilles (parti après le 45 tours), de l’aventure Potemkine, dès 1971. Plutôt rock au départ, leur musique prendra des couleurs plus aventureuses avec la découverte, en 1973-74, de Magma et du jazz-rock anglo-saxon. Le 45 tours de 1974 se ressent de ces influences tout juste ingérées. Ce jazz-rock instrumental, rehaussé des vocalises caractéristiques de Charles Goubin (on peut aisément croire de prime abord avoir affaire à une voix féminine), est sympathique mais encore immature. Il peine à sortir du lot d’un courant qui, il est vrai, se réduira très vite à des recettes et effets faciles. L’interprétation, de surcroît, est encore assez bridée, et il est évident que l’on a affaire à des musiciens ayant encore beaucoup à apprendre. Autre différence de taille avec le Potemkine de Triton et Nicolas II, la présence d’un violoniste, Xavier Vidal, qui fait alors jeu égal avec la guitare, le piano Fender de Michel Goubin (troisième frère) assurant principalement l’assise harmonique.
Le premier album, Foetus (1975), voit l’arrivée du quatrième frère, Philippe, à la batterie. Mais le départ concomitant de Gilles et son remplacement par Dominique « Doudou » Dubuisson font que les quatre frères Goubin ne seront jamais présents simultanément dans Potemkine (Gilles reviendra brièvement après le décès de Charles, mais cette fois au violoncelle). Musicalement, la formule s’affine, à mi-chemin entre le Mahavishnu Orchestra des débuts (en moins survolté – difficile de suivre McLaughlin sur le terrain de la rapidité !), et la première formule de Zao, pour ces rythmiques zeuhl appuyées, la clarté des lignes mélodiques, et ces vocalises qui s’affirment alors comme un élément distinctif du « son Potemkine ». Mais la nature de ce « son » demeurera insaisissable, puisqu’il se métamorphosera radicalement avec chaque nouvel opus.
Triton (1977) sera enregistré en trio, après le départ de Xavier Vidal et en l’absence de Michel Goubin (en invité sur un seul titre, de sa composition), mais sans que le piano (tenu en alternance par les deux autres frères), ne perde son rôle de pilier structurel. Par contre, et c’est là ce qui caractérise prioritairement cet album, le reste de l’instrumentation se trouve libéré de toute obédience marquée à quelque genre musical que ce soit. Potemkine nous propose ici sa vision personnelle d’une musique authentiquement progressive, inédite et inclassable. Les compositions évoquent parfois un certain rock de chambre, par l’émancipation de toute trame rythmique trop rigide, et une orchestration totalement « ouverte » des différents instruments. Philippe Goubin s’apparente plus par moments à un percussionniste classique qu’à un batteur de rock, utilisant souvent des percussions mélodiques, s’abstenant même de toute intervention lors de certaines séquences. Les carcans jazz-rock ne sont plus de mise. L’écriture est riche et variée, constamment surprenante ; le vocabulaire harmonique plutôt avant-gardiste, comme chez Univers Zéro ou Henry Cow, avec le même refus des mélodies trop évidentes ou d’un lyrisme conventionnel. Ce glissement stylistique conséquent est du reste revendiqué par le titre de l’album : le « triton » est un accord musical qui, nous rappelle le livret, « fut considéré au Moyen Âge comme étant l’expression musicale du Diable (l’Inquisition fit brûler des musiciens pour avoir joué cet accord) et ne fut réintroduit dans la musique occidentale qu’au début du siècle par, notamment, Stravinsky et Bartok ». Compositeurs qui, comme chacun sait, ont particulièrement influencé l’école dite des « musiques nouvelles »… La démarche entreprise par Potemkine avec ce deuxième album trouve son aboutissement dans l’épique morceau de clôture, « Eiram » (13:34), véritable voyage à rebondissements qui tient l’auditeur en haleine au gré d’une progression structurelle imprévisible et constamment inspirée. Dommage que la production soit assez rudimentaire (effets stéréo antédiluviens, confusion dans les passages les plus complexes) : une mise en son plus luxueuse aurait donné à cette sophistication musicale un relief qui lui fait ici quelque peu défaut.
Pour convaincante qu’elle ait été sur disque, cette optique musicale toute en subtilité ne devait pas être simple à imposer en concert. C’est sans doute pourquoi, au moment où Potemkine développait ses activités scéniques (grâce à un réseau coopératif établi dans le sillage de Magma avec des formations comme Étron Fou Leloublan, Art Zoyd ou Mosaïk, qui lui permit à l’époque de donner près d’une centaine de concerts par an !), sa musique évolua à nouveau sensiblement, vers un style mieux taillé pour le contexte « live », dont le troisième et ultime album, Nicolas II (1978), se veut le reflet. Avec le retour de Michel Goubin aux claviers (son équipement s’est sensiblement électrifié entre-temps, le piano Fender étant devenu prédominant et ayant été rejoint par un Moog), Potemkine se retrouve dans une configuration en quatuor plus conventionnelle, qui rappelle celle de nombreux groupes de jazz-rock de l’époque, de Return To Forever à Brand X, en passant par ses compatriotes de Sphéroe. Musicalement, c’est le même phénomène : au moment où Potemkine affirme une maturité technique digne de vrais professionnels (les musiciens furent chaleureusement félicités par John McLaughlin en personne après un concert en première partie de Shakti), d’un point de vue stylistique il donne l’impression de rentrer dans le rang, de se standardiser. Le plaisir d’écoute ne s’en ressent pas vraiment, certes, d’autant que la production est enfin à la hauteur, mais par rapport à l’album précédent, on ne peut que regretter l’abandon total de certaines des options les plus intéressantes et originales ébauchées alors. Chaque instrumentiste retrouve une fonction plus classique (c’est particulièrement vrai de la section rythmique), et les compositions respectent les codes du genre sans vraiment les transfigurer. Le travers d’un jazz-fusion purement démonstratif et clinique est toutefois évité, grâce en premier lieu au jeu de guitare fiévreux de Christian Goubin, entre un John McLaughlin moins speedé et un Carlos Santana moins mielleux, avec ce même recours fréquent à des notes aiguës, presque stridentes, et d’une indéniable puissance émotionnelle. Du reste, Nicolas II a beau être un peu trop codifié, un peu trop facilement catégorisable venant d’un groupe qui s’était précédemment efforcé de transcender les carcans, il n’en demeure pas moins parfaitement honorable, et les concessions faites alors à un certain air du temps sont aisément compréhensibles. Potemkine pouvait en effet espérer toucher un large public sans vendre son âme. Hélas, le jazz-rock avait déjà vécu ses plus belles années, et son succès commercial allait rapidement décliner. Et en contribuant involontairement à une certaine standardisation du genre, Potemkine ne pouvait espérer échapper au purgatoire à venir, quand bien même sa musique avait au moins le mérite d’être animée d’un esprit pionnier et d’une authentique ferveur. On constate finalement, une fois encore, qu’une œuvre, dès lors qu’elle s’est bâtie sur une certaine durée, est fatalement tributaire de l’époque de sa création.
Celle que Potemkine a laissée derrière lui fournit un exemple particulièrement intéressant de musiciens portés par la frénésie créatrice d’une époque d’innovation sans précédent, et dont chacun des albums, avec un sens étonnant du raccourci, correspond aux étapes que traverse tout artiste au cours de sa maturation créatrice : l’imitation et la synthèse de formes préexistantes (Foetus) ; l’accession à une expression personnelle et pionnière, rompant avec les conventions (Triton) ; et la maîtrise plus adulte d’un vocabulaire abouti, mais généralement plus conformiste (Nicolas II). Cette grille d’analyse peut être appliquée à bien des formations, progressives ou autres. Ce qui distingue Potemkine est la rapidité avec laquelle il a connu successivement ces trois phases, sachant que la plupart des groupes, soit disparaissent trop rapidement pour atteindre la troisième, soit (généralement quand ils connaissent le succès commercial) enchaînent sur une quatrième phase, dominée par des impératifs mercantiles et marquée par une dégénérescence artistique quasi inéluctable. Potemkine n’aura pas eu l’heur d’atteindre ce stade : certes, le groupe survécut près de trois ans à la disparition de sa figure de proue, mais aucun enregistrement n’est venu témoigner de ces prolongations. Trois albums – et aujourd’hui deux CD – ont donc figé Potemkine dans une éternelle jeunesse, à l’abri de certains des outrages du temps. Le livret, volontairement sans doute, ne nous dit rien du devenir de ces musiciens, dont on conservera donc l’image des vertes – et plus belles – années… Et la musique ? Dans son ensemble, elle peut difficilement prétendre à l’intemporalité : des considérations aussi bien techniques que stylistiques l’en empêchent. Reste un indéniable plaisir auditif, une importance historique toute aussi incontestable, et pour chacun de ces CD, une forme d’exemplarité qui justifie d’y jeter une oreille : l’essence d’une démarche musicale progressive pour Triton, et un exemple fort probant de jazz-rock de la fin des années 70 pour Nicolas II.
Aymeric Leroy, BIG BANG
C’est au jeune label parisien Soleil Zeuhl qu’échoit l’honneur de graver enfin sur support numérique les œuvres complètes (3 albums et un 45 tours) d’un groupe toulousain des années 1970 qui commença par donner dans le jazz-rock pour finir par donner dans le jazz-rock ! À s’en tenir à ces extrémités, il n’y aurait pas de quoi fouetter un félin kobaïen. Reste qu’entre-temps POTEMKINE a réalisé une œuvre de haute volée que tout amateur d’avant-garde zeuhlo-progressive et de Rock In Opposition se doit de découvrir : Triton, paru en 1977 sur l’obscur label Phaeton. Sans doute n’est-il pas inutile de rappeler que POTEMKINE, formé en 1971, est à la base la création de deux frères musiciens, Charles et Gilles GOUBIN, le premier étant guitariste, mais aussi pianiste et vocaliste, et le second bassiste. Après trois ans de tâtonnements légitimes, le groupe devient un quintet avec l’intégration d’un troisième frère GOUBIN, Michel, pianiste, de Xavier VIDAL, violoniste, et de Maurice BATAILLE, batteur. C’est cette formation qui enregistre et auto-produit un 45 tours en 1974, peu avant l’arrivée du quatrième frère GOUBIN, Philippe, batteur de son état, et d’un nouveau bassiste, Dominique DUBUISSON. Un premier LP est alors enregistré en 1975. On aura beau jeu de dire que POTEMKINE est une affaire de famille, en l’occurrence la famille GOUBIN, mais leurs incessantes allées et venues n’ont cependant jamais permis aux quatre frères GOUBIN de se retrouver au même moment dans le groupe. Seul Charles GOUBIN aura officié sur tous les disques du groupe et en a été le plus prolifique compositeur. C’est du reste avec sa disparition prématurée en 1979 que la carrière discographique du groupe s’est achevée. Philippe et Michel GOUBIN ont certes remis POTEMKINE sur les rails au début des années 80 sous forme de quartet avec Rémy SARRAZIN et Jean-Marc BELKADI, mais cette formation n’a manifestement laissé aucune trace d’enregistrement. Baigné à ses débuts par le jazz-rock des MAHAVISHNU ORCHESTRA et autres WEATHER REPORT et tombé dans le fatidique chaudron de potion magmaïenne, POTEMKINE – dont le nom a été choisi telle une cuirasse phonétique pour ses « consonances kobaïennes » (sic) – aurait pu rester un sympathique groupe de jazz-fusion comme il en pleuvait dans l’underground français des années 1970. Mais sans crier gare, et à l’époque où sa formule instrumentale était pourtant réduite à un trio, POTEMKINE décide de passer outre les carcans stylistiques du jazz-rock et se tourne vers la musique contemporaine, toutes voiles dehors vers BARTOK et STRAVINSKY. Paru en 1977, Triton entérine avec maestria ce changement de cap, ou plutôt cette évolution ascendante vers une œuvre plus aventureuse et plus personnelle.
Les cinq compositions de ce disque se caractérisent toutes par leurs structures faites de cassures mélodiques, de hachures rythmiques, de déviations impromptues et de violence canalisée, et c’est naturellement les pièces les plus épiques, telles que Loolit II, Asyle et surtout Eiram qui illustrent de façon probante les nouvelles options de POTEMKINE. Triton est habité de bout en bout par une tension qui ne se libère que rarement, la frénésie étant généralement muselée. Il faut dire aussi que l’aspect rudimentaire de la production n’aide pas faire ressortir les passages les plus intenses et les reliefs climatiques. Sinon, la progression par rapport au premier album, Foetus, se mesure aisément, ne serait-ce que par la différence de formation. Du fait du départ de Xavier VIDAL, le couple soliste violon/guitare n’est plus de mise, et le piano, tenu en alternance par Charles et Philippe GOUBIN, joue un rôle plus prépondérant dans la charpente harmonique et mélodique. Le même Philippe GOUBIN propose une palette rythmique plus diversifiée (cymbales, carillon, percussions variées) et s’est affranchi des schémas typés jazz-rock. Le jeu de basse vigoureux et profond de Dominique « Doudou » DUBUISSON contribue également à l’éloignement de toute rigidité rythmique. L’intégration d’éléments hérités de la musique contemporaine est du reste revendiquée par le titre même du disque. On voudra bien croire que si le terme « triton » a été choisi, ce n’est pas tant pour faire référence à ce sympathique amphibien des étangs ou au mollusque gastropode, mais plutôt à cet intervalle de trois tons entiers connu également comme « quarte augmentée ». Le livret nous rappelle que cet accord avait été démonisé par l’Inquisition médiévale (des musiciens furent brûlés pour avoir osé le jouer), et il a fallu attendre les compositeurs du début du XXe siècle (guess who ?) pour qu’il soit réhabilité dans la musique occidentale.
Aussi, quand bien même les étonnants vocaux féminisés de Charles GOUBIN font toujours assurément penser à ZAO, on se retrouve avec Triton plus près d’un HENRY COW, voire d’un UNIVERS ZERO, qui, comme par hasard, sort la même année son premier disque. Faut-il parler de signes des temps ? Toujours est-il que le langage musical revendiqué par Triton va dans le même sens que celui des Belges, qui, eux, se sont libérés de façon plus radicale de toute instrumentation typiquement rock et jazz. Deux ans après, en 1979, le groupe français VORTEX suivra ce même chemin avec Les Cycles de Thanatos… On ne peut pas en dire autant de POTEMKINE qui, avec son troisième et ultime disque, Nicolas II, paru en 1978, soit un an seulement après Triton, ne trouve pas mieux que de revenir sur l’autoroute du jazz-rock balisé. Le groupe a, il est vrai, écumé plusieurs salles de concert en France, notamment en assurant des premières parties de MAGMA mais aussi grâce au réseau créé par ÉTRON FOU LELOUBLAN, ART ZOYD et MOZAIK (tiens, encore un qui aurait bien besoin d’une réédition…), et a su gagner l’intérêt du public par des séquences improvisées de structure rock et par conséquent plus dynamique que les compositions de Triton. Il n’en a pas fallu davantage pour que POTEMKINE s’oriente vers une musique plus conforme au goût d’un plus grand nombre, et c’est un jazz-rock européen déluré et plein d’énergie positive, dans la lignée de ZAO, Jean-Paul PRAT ou encore BRAND X, que nous livre le groupe, devenu quartet avec le retour de Michel GOUBIN. Outre le piano, ce dernier joue maintenant sur un matériel plus électrique, tel le Fender Rhodes et le moog, ce qui est déjà assez révélateur. De plus, la guitare électrique de Charles GOUBIN revient en première ligne, plus aiguë et rageuse que jamais. L’histoire veut que, un jour qu’il jouait en première partie de SHAKTI, le groupe des frères GOUBIN s’est vu chaleureusement félicité par John Mc LAUGHLIN. Certes, la musique sur Nicolas II est plus mature que celle des débuts, le groupe a gagné en maîtrise stylistique, mais l’on peine à croire que Triton a été conçu entre-temps. Cet opus avait ouvert des voies qui ne sont guère explorées sur le troisième album de POTEMKINE. Sans doute l’attrait d’une plus vaste audience et le probable souhait d’une reconnaissance plus large du milieu professionnel a-t-il déterminé ce changement de cap qui, toutefois, ne peut être assimilé non plus à un pacte avec le show-biz. Le jazz-rock pratiqué par POTEMKINE, tout formaté qu’il est, n’est plus à l’époque ce qui fait recette… Néanmoins, ceux qui ont apprécié le Kawana de ZAO devraient être conquis par Nicolas II, d’autant que l’album jouit d’une production enfin convaincante. Mais pourquoi faut-il que, la plupart du temps, la maturité stylistique et technique s’accompagne d’un ressac sur le plan créatif ? Ou bien, s’il est vrai qu’il faille considérer Triton comme une parenthèse dans le parcours de POTEMKINE, pourquoi est-ce donc ces parenthèses qui s’avèrent parfois les plus audacieuses dans la démarche d’un groupe ? Autant de questions que ne manquent pas de susciter la parution de l’intégrale d’une œuvre. Celle de POTEMKINE tient donc sur deux CD. Il faut préciser en effet que la réédition de Triton contient en bonus les deux morceaux parus en 1974 sur un 45 tours (un sacré collector aujourd’hui !), qui représente le baptême du feu d’un groupe qui n’a pas encore digéré ses influences, cependant très honorables, ainsi que deux morceaux du premier LP, Foetus (1975). Les trois-quarts restants dudit album ont pour leur part été intégrés à la réédition de Nicolas II. Et qu’importe si les bandes master de Foetus ont été perdues, obligeant à utiliser un bon vieux 33 tours pour la mastérisation numérique, l’intérêt historique (et le plaisir musical, tout de même) de ces bonus est évident et permet d’appréhender dans sa globalité l’aventure d’un groupe qui méritait de sortir de l’anonymat des placards de vinyls épuisés depuis des lustres.
Stéphane Fougère TRAVERSES magazine